Interview : Jotaro Nonaka, l’homme fort du Laseractive
Dans les années 90, un petit groupe de marginaux fut recruté par Pioneer dans le but de réaliser des jeux pour une machine révolutionnaire en devenir : le Laseractive. Sobrement intitulée « Multimedia Creators Network » (ou MmCN), cette équipe composée d’artistes, de programmeurs et de musiciens, fut formée par Pioneer Japan afin de produire des logiciels exclusifs à la plateforme.
Le jeune studio est responsable de la conception de 3 titres pour la firme : 3D Museum, Melon Brains et Goku (le 4ème, UFO & E.T. ayant été annulé avant sa mise en production). Jotaro « A-Key »Nonaka, jeune recrue ayant à l’époque un vif intérêt pour le médium Laserdisc, nous raconte l’histoire de cette petite équipe hors du commun.
La formation du MmCN :
« Un de mes partenaires d’affaires à l’époque qui travaillait au département marketing de Pioneer est venu me rencontrer pour me parler d’un projet en devenir. Les ingénieurs de la société avaient développé un système propriétaire appelé LD-ROM et envisageaient une sortie pour le grand public. Cela permettait de rendre les Laserdiscs interactifs mais ils avaient besoin de créer des contenus afin de démontrer le plein potentiel de ce format. Aucun développeur extérieur ne pouvait malheureusement répondre a leur demande car le LD-ROM était encore confidentiel et personne n’avait d’expérience sur ce créneau.
Etant moi-même musicien, j’étais très intéressé par les possibilités offertes par le multimédia qui émergeait à l’époque. J’avais été initié a l’HyperCard (un système interactif d’Apple, ancêtre du html) et j’étais donc forcement emballé par cette opportunité unique. J’ai commencé à recruter des amis proches en leur demandant si travailler dans ce nouvel environnement et sortir quelque peu de leur zone de confort les intéressait. La plupart on répondu positivement et le MmCN était né.
Parmi eux, on dénombre Hiroyuki Nakano pour la production vidéo, Hakubun Ito pour la production de CGI, et mon mentor Haruomi Hosono pour la musique. Nous avons progressivement formé ce groupe très éclectique d’artistes et de créateurs, accompagné d’ingénieurs et de programmeurs de talent. »
Le développement de titres MegaLD et LD-Rom2
» J’étais bien sûr principalement en charge des productions musicales, de la composition et de la production des pistes sonores et effets. J’ai aussi été fortement impliqué dans la réalisation du kit de développement pour LD-ROM. A l’époque, il n’y avait aucun outil car le format était complètement nouveau. Il a donc fallu tout créer en partant d’une page blanche.
Nous avons alors commencé a réfléchir au game design de nos jeux et a produire des clips vidéo afin de peaufiner les rendus et étudier les interactions possible du LD-ROM. Nous avons dû développer des routines d’écriture avec nos programmeurs afin de réaliser des disques « masters » pour tester et jouer en direct sur la machine. On modifiait le programme, on corrigeait les bugs, on réduisait les temps de chargement et de latence, etc… Nous répétions le processus jusqu’à ce que le résultat soit finalement viable et le kit exploitable pour des sociétés externes.
En outre, le LaserActive était un produit stratégique de Pioneer et sa commercialisation était prévue à l’échelle mondiale. Il fallait donc pour chacun des titres développer deux programmes différents. Un codé pour la PC-Engine de NEC et l’autre pour la Megadrive de SEGA. Comme si cela ne suffisait pas, chaque jeu devait disposer d’une version japonaise et d’une version américaine. Il fallait donc produire 4 versions pour un même jeu. C’était bien plus que du multi-tâches, c’était complètement dingue !
A l’époque, nous devions louer des créneaux horaires dans divers studios d’enregistrement de Tokyo. Cela coûtait une petite fortune et n’était vraiment pas pratique. J’ai donc décidé d’aménager la dépendance de ma maison et de la transformer en studio privé. Nous avons appelé ce dernier le Media Garden Studio car il faisait face a un jardin magnifique. C’était un cadre très agréable et j’ai adoré y travailler. Malheureusement, ma famille a dû déménager en 2002 et le studio n’existe plus. »
Les lunettes 3D
« Les gens de chez Pioneer avaient l’intention de lancer le Laseractive avec des lunettes à technologie LCD (les fameuse 3D-Goggles). Naturellement, ils avaient besoin de quelque chose d’impressionnant a montrer au public. Hiroyuki Nakano s’est donc attelé à la tâche et a étudié les capacités 3D du LD-ROM. Ainsi est né le projet 3D Museum.
Il a rapidement décidé, comme moi, de faire son propre studio de production vidéo chez lui. Situé juste à côté du Media Garden Studio, ce dernier s’appelait Studio 629. Nous faisions des allers-retours entre les deux. Je lui livrait mes cassettes audio et il revenait avec un master vidéo qu’il avait édité, et vice versa.
Au final, 3D Museum avait tellement de clips différents que j’ai dû toucher a tous les types de musique. Synchroniser le son avec des images 3D était un véritable challenge. Nous utilisions les dernières technologies et logiciels disponibles sur le marché afin de contrôler et traiter également le son en 3 dimensions. J’ai fini par utiliser le RSS (développé par Roland). J’étais d’ailleurs un de leur premier client professionnel a utiliser cette technologie. »
Le développement de Goku
« Hakubun Ito est venu me voir avec l’idée du jeu GOKU. Il s’agit d’un titre interactif qui permet de visiter les sept merveilles du monde en CGI haute définition. A cette époque, nous avons mandaté le studio Magic Box afin de calculer les différents films d’animation nécessaires. Ces derniers étaient vraiment superbes et le résultat à la hauteur de nos attentes. En y repensant, nous avons englouti la plupart de notre budget dans ce projet. La production d’image de synthèse était extrêmement chère à l’époque.
Quoi qu’il en soit, Goku n’avait pas vraiment de scénario concret pour aller de pair avec ses images. J’ai fini par développer un scénario interactif avec l’aide d’un de mes auteurs préférés M. Hiroshi Aramata. Il est incollable sur tout ce qui touche à l’histoire. Le scénario final est basé sur son récit de l’ancien mystère des sept merveilles du monde. Goku a ainsi pu entrer en production.
Le développement de Melon Brain
« L’idée de faire un titre mettant en vedette les dauphins me tenait à coeur. J’ai travaillé avec Yoko Ono entre 1989 et 1990 pour produire une série de concert en CD et vidéo afin de commémorer le 50e anniversaire de John Lennon au Tokyo Dome. L’événement s’intitulait « Greening of the World » (dec.1990). Yoko m’a raconté des histoires étonnantes sur les dauphins et leur capacité à communiquer entre eux en utilisant un organe appelé melon (une partie grasse située dans la zone frontale de leur cerveau). Je suis alors devenu totalement fasciné par ces créatures.
J’ai donc eu l’idée de faire un jeu mettant en vedette des scientifiques qui étudiaient les dauphins sous différentes perspectives. Je désirait créer quelque chose d’intellectuellement intrigant avec de belles séquences vidéo de dauphins dans la nature, quelque chose de relaxant et émotionnellement engageant. Le but était de montrer le dauphin comme un être extrêmement intelligent, peut-être même plus que l’homme.
Nakano a aimé mon idée et le jeu est devenu Melon Brains. Nous avons eu le privilège d’avoir interviewé quelques-uns des plus grands spécialistes sur le sujet. Nous avons créé des scénarios interactifs et produit des visuels pour accompagner les informations que nous avions récupérées auprès d’eux. Nous avons également eu la chance de travailler avec Bob Talbot (un photographe marin très réputé) qui a pu nous fournir des séquences de film exclusives.
Mon meilleur souvenir de cette époque fut ma rencontre avec le Dr John C. Lilly qui, malheureusement, est décédé en 2001. Il est encore aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs neuroscientifique au monde. Il étudiait le cerveau des dauphins (qui est relativement plus complexe que le nôtre) et leur capacité à communiquer. Grâce à ses recherches, il en est venu à la conclusion que les capacités intellectuelles du dauphin sont bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer.
Quand je l’ai interviewé chez lui à Maui pour Melon Brains, je me suis senti profondément connecté à ce qu’il me disait. J’avais vraiment le sentiment d’avoir rencontré quelqu’un qui avait acquis une véritable sagesse. Par la suite, nous sommes devenus de bons amis. Ma femme et moi même allions lui rendre visite à Maui de temps a autre. »
Ufo & E.T.
« … Effectivement, nous avions prévu un quatrième titre basé sur les ovnis et la vie extra-terrestre. Malheureusement nous n’avons pas pu le faire tout simplement parce que nous avons épuisé notre budget avec les trois titres précédents. J’aurais adoré avoir plus de temps (et d’argent) pour terminer celui-ci. Le sujet me passionne particulièrement depuis que je suis enfant. »
Propos recueillis par Laseractive Preservation Project.
Traduits de l’anglais par Queen Meka.